Commentaire ésotérique de la sourate 112 l’Épuration (al-ikhlâç), par al-Qâchânî

بسم الله الرحمن الرحيم


La sourate 112 en kufique (source)

قُلْ هُوَ اللَّهُ أَحَدٌ / اللَّهُ الصَّمَدُ / لَمْ يَلِدْ وَلَمْ يُولَدْ / وَلَمْ يَكُن لَّهُ كُفُوًا أَحَدٌ 

     [Note du traducteur. Le nom verbal ikhlâç (d'une racine exprimant l'état de blancheur et de pureté) signifie l'acte de "rendre pur, sans mélange" et au figuré, la "consécration exclusive" (d'une action on d'un sentiment à quelqu'un), d'où les expressions : ikhlâçu-l-amali li-llâhi = "la consécration de l'oeuvre (de l'action) purement à Allah", mukhliçen la-Hu dînî = "en Lui consacrant exclusivement ma religion (mon culte)" (cf. Cor. 39, 14).
     Cette sourate aurait été révélée à la Mekke à propos de la demande suivante que les polythéistes firent à l'Envoyé d'Allah - sur lui la Paix: Unsub la-nâ Rabba-ka, ce qui peut se traduire, littéralement, par : "Donne-nous la généalogie de ton Seigneur" (expression se rattachant au style de la science généalogique, très développée chez les Arabes), ou plus simplement : "Dis-nous quel est ton Seigneur"; on rapporte encore que la question avait été posée aussi, soit par les Quraychites de la Mekke, soit par les Juifs de Médine, sous la forme : çîf la-nâ Rabba-ka = "Décris-nous (qualifie) ton Seigneur". La réponse donnée, dans les deux cas, affirme l'Unité absolue de l'Essence et l'Unicité de la Divinité, tout en niant les idées de "devenir" et de "dépendance" impliquées par l'idée de "généalogie".]

Au Nom d'Allah le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux!

1. Dis : "Lui - Allah - est Un !
2. Allah est le Soutien universel !
3. Il n'engendre pas et n'est pas engendré,
4. Et il n'a pas d'égal".

     Verset 1. "Dis : Lui - Allah - est Un".
     Qul (Dis) est un ordre qui arrive de la Source de l'Union ou Synthèse originelle (Aynu-l-Jam') sur le plan épiphanique de la Distinctivité (at-Tafçîl).
     Huwa (Lui) est un terme exprimant la Réalité-Une pure (al-Haqîqatu-l-Ahadiyyatu-ç-çirfah), c'est-à-dire l'Essence (adh-Dhât) en tant qu'elle est, sans rapport d'attribut (çifah), et qui n'est connue que de Lui.
     Allah est ici, syntactiquement, un permutatif de Huwa et désigne l'Essence avec tous les Attributs. Par cette permutation il est montré que les Attributs de Dieu - qu'Il soit exalté! - ne sont pas surajoutés à Son Essence, et que plutôt ils sont l'Essence elle-même. Il n'y a là point de séparation, si ce n'est que par façon de penser [1]. C'est pour cela que cette sourate fut appelée la sourate de l'Epuration (sûratu-l-Ikhlâç), car l'Ikhlâç est l'acte de nettoyer la Réalité-Une des tâches de la Multiplicité (al-Kathrah). Ceci est conforme à ce qu'à dit le Commandeur des croyants (Alî) - sur lui la Paix - : "La perfection dans l'épuration faite pour lui c'est de nier Ses Attributs, car tout Attribut atteste par lui-même qu'il est autre que le qualifié par cet attribut, et réciproquement, tout qualifié atteste qu'il est autre que l'attribut qui le qualifie". C'est cette même idée qu'à eue celui qui a dit : "Ses Attributs à Lui - qu'Il soit exalté! - ne sont pas Lui, ni autre que Lui!", ce qui veut dire : ils ne sont pas Lui-Même sous le rapport rationnel, ni autre que Lui sous le rapport réel.
     Ahad (Un) est au point de vue syntactique un attribut de Huwa.
    La différence entre Ahad (Un) et Wâhid (Unique) consiste en ceci que Ahad est l'Essence Seule sans rapport de multiplicité en elle, c'est-à-dire la Réalité Pure (al-Haqîqatu-l-Mahdah) qui est l'origine (manbaa) de la Source de Camphre (al-Aynu-l-Kâfûrî) ou plutôt la Source de Camphre elle-même [2], c'est-à-dire l'Etre en tant qu'Etre (al-Wujûd min haythu huwa Wujûd) sans limitation aucune, ni générale ni spéciale, et sans aucune condition ni de localisation, ni de non-localisation. Le Wâhid est par contre l'Essence considérée sous le rapport de la multiplicité des attributs et constitue la Stase Nominale (al-Hadratu-l-Asmâiyyah), car un "nom divin" (Ism) est l'Essence avec l'Attribut.

     Verset 2. "Allah est le Soutien universel (aç-Camad)" [3], ce qui veut dire que l'Essence dans la stase de l'Unicité, pour autant qu'on la considère sous le rapport des Noms divins, est l'Appui (as-sanad) absolu de toutes les choses du fait que tout être contingent se trouve en état de nécessité envers Lui et du fait que son existence même n'est que par Lui. Ainsi Lui est le Riche Absolu dont toute chose a besoin, ce qui est en accord avec le verset : "Et Allah est le Riche et vous les pauvres" (Cor. 47, 40). Or du fait que tout ce qui est autre que Lui existe par Son Etre à Lui et n'est rien par soi-même - l'état potentiel propre à sa quiddité ne comportant pas par soi-même l'existence - il résulte que rien ne Lui est congénère, ni similaire, dans l'existence.

     Verset 3. "Il n'engendre pas" car les choses causées par Lui ne sont pas coexistantes avec Lui, mais existent par Lui. C'est pas Lui qu'elles sont "elles" alors que "par elles-mêmes" elles ne sont rien.
     "Et il n'est pas engendré", ceci en raison de Sa nature de Soutien absolu, qui fait que Lui n'a besoin de rien dans l'être (pour être).

     Verset 4. Or du fait que Son Ipséité Une (al-Huwiyyah al-Ahadiyyah) ne reçoit pas la multiplicité ni la division, aussi du fait qu'on ne peut attribuer l'unité essentielle à autre qu'Elle - car en dehors de l'Etre Absolu il n'y a que le pur néant - nul ne peut L'égaler : "Et Il n'a pas d'égal". Le néant absolu ne peut s'égaler à l'Etre pur. C'est pour cela que cette sourate est appelée en outre sourate du Fondement (sûratu-l-Asâs), car le Fondement de la Tradition - ou plutôt de l'Existence - est le Principe de l'Unité (at-Tawhîd). Anas a rapporté que le Prophète - qu'Allah répande sur lui Sa grâce et Sa paix - a dit : Les sept Cieux et les sept Terres sont fondés sur "Dis : Lui - Allah - est Un", ce qui correspond à l'idée du Soutien universel (aç-Camadiyyah).

– Abdu-r-Razzâq al-Qâshânî,
traduction et notes de M. Vâlsan,
Etudes Traditionnelles n°414, 1969.


[1] Allusion aux discussions scolastiques sur la réalité das Attributs. - Il est intéressant de signaler que ce rapport est montré aussi par les valeurs numérales de Huwa, 11, et d'Allah, 66, le dernier étant un multiple et aussi le "nombre triangulaire" du premier (la somme des onze premiers nombres 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 + 9 + 10 + 11 = 66), or les multiples et les nombres triangulaires sont des développements ou des explications des nombres de base respectifs.
[2] La source de Camphre est une des sources du Paradis (cf. La "sourate de l'Homme", Cor. 76, 5); elle fournit le breuvage destiné exclusivement aux "Gens de l'Unité essentielle" (ahlu-l-Wahdati-dh-dhâtiyyah). 
[3] Le Nom divin aç-Camad, qui se trouve ici pour la seule fois dans le Coran, est difficile à rendre par une expression succincte et d'ailleurs les commentateurs arabes soulignent des aspects très variés; le Maître Parfait, Celui dont tout être a besoin, le Doué de Plénitude (sans creux), le Dur, l’Éternel, etc.